Pierre de tuffeau : sa majesté des bords de Loire

Quel est le point commun entre le château de Chambord, les caves de Bourgueil et l’Hôtel de Ville de Saumur ? Leur proximité avec la Loire ? Oui, mais surtout le matériau qui les compose : la pierre du tuffeau. Et les deux sont liés, puisque les constructions en tuffeau fleurissent dans les paysages verdoyants de la vallée de la Loire. Partons à la découverte d’une pierre tendre indissociable de notre patrimoine culturel.

Pleins feux sur le tuffeau, pierre ligérienne par excellence

En France, tuffeau et Loire ne vont pas l’un sans l’autre. En effet, c’est essentiellement sur l’aire géographique de la vallée de la Loire que l’on trouve à la fois les carrières et les constructions en tuffeau. Val de Loire, Touraine, mais aussi vallée de la Vienne, entre Saumur et Châtellerault, ou encore vallée du Cher… Quant au mot “tuffeau”, il est un dérivé du “tuf”, une roche d’origine tantôt calcaire tantôt volcanique.

Le tuffeau est constitué d’organismes et de roches entraînés par les cours d’eau, puis transformés, compactés en roche pendant quelque 90 millions d’années. Une formation géologique qui date donc de l’ère secondaire, plus précisément du Crétacé supérieur dit Turonien. Des traces de fossiles, principalement de mollusques, peuvent d’ailleurs être vues lors de l’extraction ou de la taille. Visuellement justement, le tuffeau est une pierre souvent blanche, la “pierre de Bourré”, parfois blonde, toujours très lumineuse. Par ailleurs, il présente d’excellentes qualités d’isolation phonique et thermique. Logique, puisque sa porosité atteint les 49 % !

Un travail de taille

Fabien Lemercier, tailleur de pierre en région nantaise, nous en dit plus sur la manipulation du tuffeau. Merci également au compagnon tailleur de pierre Florent Codez pour avoir apporté sa contribution aux réponses. D’ailleurs, peut-on dire qu’il est spécialiste du tuffeau ? « Je suis plutôt spécialiste des pierres tendres en général, dont le tuffeau fait partie. » De Blois à Chinon en passant par Chambord, Fabien Lemercier s’est trouvé à travailler énormément le tuffeau pendant son compagnonnage. Depuis 7 ans, il travaille exclusivement pour le Château de Maubreuil à Carquefou, un superbe bâtiment, en tuffeau, faut-il le préciser, qui abrite aujourd’hui un hôtel de luxe.

Tendre parmi les tendres, le tuffeau est une pierre facile à travailler… « presque trop facile ». Sa taille comme sa pose nécessitent beaucoup d’attention : « on peut rapidement casser une arête » précise Fabien Lemercier. Il faudrait presque retenir ses coups et ses gestes lorsqu’on manie rabot ou chemin de fer. Cette tendresse intrinsèque permet toutefois de tailler vite, et de façon très précise. « Cela explique que les maisons du val de Loire soient si ornementées ».

Quant à la pose du tuffeau, lors d’une rénovation par exemple, c’est une entreprise qui demande du savoir-faire : « Sous terre, le tuffeau se forme en lit. La taille doit être effectuée de sorte que le bloc soit ensuite posé dans le même lit où il s’est formé », dans le même sens, donc. Sinon ? « Si la pierre est posée “en délit”, le tuffeau s’effritera vite en petites plaques » explique Fabien Lemercier. Et ça ne s’arrête pas là : « Lorsque la pierre est extraite, il y a ce qu’on appelle le jus de carrière qui, une fois évaporé, laisse une fine couche sur la pierre ». Cette fine couche, c’est le calcin, dépôt de carbonate de chaux qui protège naturellement la pierre. Cette dernière doit donc absolument être positionnée dans le bon sens pour être le mieux protégée possible.

Une pierre de choix pour les châteaux de la Loire

Impossible d’évoquer le tuffeau sans aborder les stars de la vallée de la Loire : les châteaux, bien sûr ! D’ailleurs, le tuffeau est parfois surnommé “pierre des rois”. Chambord, Chenonceaux, Chinon, Blois ou encore Langeais pour n’en citer que quelques-uns… Tous ont été bâtis avec la pierre locale. Différents conflits successifs verront naître la plupart des châteaux du val de Loire entre les 11e et 15e siècles. Tous seront rebâtis aux 15e et 16e siècles, alors même que la cour des rois de France prend ses quartiers dans la région. Il y aurait près de 3000 châteaux, essentiellement dans les régions Pays de la Loire et Centre-Val de Loire !

Parmi ceux-ci, 103 font partie de l’association des Châteaux de la Loire, Vallée des rois. Barbara de Nicolaÿ, propriétaire du château du Lude dans la Sarthe, est membre du bureau de l’association. L’objectif ? « Entretenir et transmettre » un patrimoine unique. « Nous avons à cœur de préserver au mieux les monuments et jardins. Tout doit être le mieux possible, chaque jour, pour accueillir le public qui veut voir le monument “op zijn best” comme on dit en néerlandais, jour de fête tous les jours ». Pour la propriétaire du château du Lude, le tuffeau est « une identité presque aussi évidente que le cours de la Loire ». La ville du Lude est d’ailleurs construite sur des carrières de tuffeau : un impressionnant réseau souterrain serpente sous le parc du château et de la ville.

Si le tuffeau apporte aux châteaux une blancheur extraordinaire et permet un superbe travail de sculpture, son entretien est un challenge permanent pour les responsables patrimoniaux. « Une lutte perpétuelle contre le climat, contre le temps » précise Barbara de Nicolaÿ. Effectivement, le travail de rénovation est périodique, en particulier sur les façades les plus exposées aux vents d’ouest. Les toits doivent aussi être surveillés de près : « si les chéneaux se fissurent, l’eau s’infiltre et on a un dégât sur la pierre en dessous » explique Barbara de Nicolaÿ.

Des châteaux… Mais pas que !

Outre les châteaux et autres monuments remarquables, bien des villes et bourgs de la vallée de la Loire jouissent d’un patrimoine qui fait la part belle au tuffeau. Petite sélection.

Direction le Loir-et-Cher, avec le village de Bourré, ses 700 âmes et ses… 580 km de galeries ! A l’air libre, les anciennes carrières (ou “perrières”) valent aussi le détour. Si les pierres du château de Chambord furent extraites du sous-sol bourrinchon, de nombreuses constructions en tuffeau attendent les visiteurs. Maisons troglodytes, caves sculptées ou encore champignonnières font aussi la renommée du village. En effet, l’hygrométrie des anciennes carrières se prête parfaitement à la culture des pleurotes et autres champignons de Paris.

Escale ensuite en Indre-et-Loire, le temps d’une visite dans la ville de Bourgueil, à quelques encablures de Chinon, au nord de la Loire. Une petite cité davantage connue pour ses vignes que pour le tuffeau. Et pourtant, les deux se rejoignent avec les vins de tuffeau. Une partie des vignobles pousse en effet sur un sous-sol en tuffeau, souvent recouvert de sable. La vinification des vins du pays de Bourgueil se fait parfois encore dans les galeries de tuffeau…

On suit le tracé de la Loire jusqu’à Saumur où Serge Marolleau, architecte conseil auprès de la Ville, nous parle de prédominance du tuffeau. Première particularité : ici, la couleur de la pierre tire vers le jaune, on dit qu’elle est blonde, « superbe avec le soleil et la Loire » commente Serge Marolleau. Un très vaste secteur du centre de Saumur est sauvegardé, ce qui permet une gestion précise des aménagements et rénovations. Serge Marolleau joue les intermédiaires entre mairie, habitants ou commerçants et l’Architecte des Bâtiments de France, qui rend un avis sur chaque dossier. Il précise : « L’Architecte des Bâtiments de France, dans la majorité des cas, applique le règlement. Dans une minorité de cas, elle est obligée d’interpréter. S’agissant d’un secteur sauvegardé, ses décisions occasionnent parfois des discussions avec les commerçants ou habitants. » Globalement, la ville de Saumur aide les administrés à payer la facture, lorsque les travaux concernent « les quatre marqueurs de la ville : tuffeau, bois, ferronnerie et ardoise ». A Saumur, le tuffeau en façade n’est pas très épais (une trentaine de centimètres). Parfois, un nettoyage suffit. « S’il faut changer la pierre, seule la première couche peut être remplacée dans certains cas ». Tout est une question de budget pour les administrés : trouver la meilleure solution pour faire durer la pierre et préserver l’harmonie du centre-ville. Quant à l’approvisionnement, c’est la carrière de la Vienne qui fournit aujourd’hui l’agglomération saumuroise.

 

Une exception française ?

On présente souvent le tuffeau comme une spécificité géologique et architecturale française. C’est vrai, mais cela ne signifie pas que nous en ayons l’exclusivité. A cheval entre la Belgique et les Pays-Bas, toute une zone fut exploitée entre les 14e et 20e siècles, aux abords de la Montagne-Saint-Pierre (Sint-Pietersberg en néerlandais). Logique, donc, que la ville voisine de Maastricht ait été bâtie avec la pierre locale. Avec l’avènement de la brique, la dernière carrière de la Montagne-Saint-Pierre fermera toutefois ses portes en 1920. Que trouve-t-on aujourd’hui dans ses galeries fraîches et humides ? Des champignonnières, bien sûr ! A la surface, le tuffeau est toujours extrait, mais dans le cadre de la fabrication du ciment.