Granulats marins : le matériau de construction des façades littorales

Lecteurs normands, saviez-vous que les murs de vos habitations sont peut-être en partie composés de sables et graviers venant du fond de la Manche ? En effet, les granulats marins sont très largement utilisés pour les travaux de construction et d’aménagement à proximité des côtes. Mais alors, comment ces petits cailloux passent-ils du milieu marin à notre environnement terrestre ? Lavieenpierre vous emmène à la découverte de ce matériau de construction inattendu, de son extraction à son exploitation.

Le long voyage des granulats

Les granulats marins sont des sables et graviers, issus de sédiments déposés par les fleuves, comme ceux que l’on exploite au sein d’une carrière alluvionnaire classique. Leur particularité réside dans leur localisation : les fonds marins. Pour mieux comprendre comment ils ont atterri là, petit détour avant notre ère ! Durant la dernière période glaciaire il y a environ 20 000 ans, le niveau de la mer était 120 mètres plus bas qu’il ne l’est actuellement, laissant ainsi La Manche émergée et les fleuves inciser ses fonds et charrier leurs sédiments jusqu’à l’ancien rivage situé au nord-ouest de la Bretagne. Lorsque le climat s’est réchauffé, le niveau de la mer est remonté, recouvrant alors une partie des lits des fleuves… et donc des granulats. C’est pourquoi ils se trouvent aujourd’hui au large des estuaires de la Somme, la Seine, la Loire et la Gironde. D’où leur nom : granulats marins. Certains spécialistes les qualifient de reliques, témoins d’une époque révolue de l’histoire des grands fleuves français. Pour autant, les caractéristiques géotechniques et les usages des granulats marins sont similaires à ceux extraits sur terre. Finalement, seul leur mode d’extraction diffère. Encore faut-il les dénicher…

Exploiter du granulat marin : ça se mérite !

Ainsi, il est possible de solliciter un permis exclusif de recherche, communément appelé PER, pour étudier le milieu marin sur une vaste zone de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres. S’il n’est pas obligatoire, le PER permet à la fois d’identifier les meilleures zones de consensus pour une exploitation et également d’apporter de la connaissance grâce au partage des études avec l’ensemble de la communauté scientifique.

À la fin des recherches, seuls quelques kilomètres carrés sont retenus. Lorsque la demande d’exploitation est déposée, c’est reparti pour 36 mois d’instruction ! En effet, l’extraction de granulats marins est strictement réglementée et encadrée. Elle répond à la fois au code minier et au code de l’environnement. Elle nécessite donc obligatoirement une étude d’impact et peut nécessiter jusqu’à trois autorisations différentes : un titre minier délivré par le ministre en charge des Mines, une autorisation d’ouverture de travaux miniers délivrée par le préfet de département et une autorisation d’occupation domaniale, si le gisement se situe sur le domaine public maritime. Cette activité donne lieu à une redevance à payer pour chaque mètre cube extrait. Vous l’aurez compris, ne s’improvise pas exploitant de granulats marins qui veut !

5 à 7 millions de tonnes extraites par an au niveau national

Une fois les autorisations obtenues, le principe d’extraction reste simple : un navire appelé drague, doté d’un grand tuyau nommé élinde, rejoint le périmètre d’exploitation autorisé. L’élinde est alors déposée sur le sol marin pour être traînée, aspirant ainsi sur son passage quelques dizaines de centimètres de matériau de surface. La quantité de granulats récupérée et la durée d’extraction peuvent varier. Conformément aux règles et autorisations préalablement nécessaires, tout est enregistré, suivi et contrôlé.

En France, l’extraction de granulats marins s’effectue aujourd’hui sur trois façades : la façade Manche Est Mer du Nord, la façade Nord Atlantique Manche Ouest, et la façade sud-atlantique. Au total, en 2022, ces trois façades accueillaient moins de vingt concessions.

Granulats marins : ils sont partout !

Mais alors, une fois passés des fonds marins jusqu’aux cales de la drague : que deviennent les granulats marins ?

Première étape : rejoindre leur port de déchargement pour être triés. Ou plutôt criblés comme disent les pros ! L’opération consiste à faire passer les roches par différents tamis afin de les séparer en fonction de leur calibre. Les plus grosses peuvent parfois être concassées pour en réduire la taille. Et voilà nos granulats triés selon leur granulométrie, prêts à être utilisés ou transformés.

De quelles façons ? Les granulats marins sont notamment l’un des éléments constitutifs essentiels du béton. Vous imaginez donc à quel point ils sont utiles ! Comme leurs cousins terrestres, ils peuvent se retrouver fréquemment dans nos habitations, dans les ponts et bâtiments publics. Bref, une fois extraits du fond des mers, les granulats marins sont en fait partout autour de nous !

Les granulats marins servent également à l’aménagement des digues côtières et au ré-ensablement des plages. Autre usage bien moins connu : l’agriculture. Ces petits morceaux de roche sont en effet utilisés pour amender les sols trop acides dans les zones littorales.

Une ressource de proximité

Vous l’aurez compris, les granulats marins sont avant tout une ressource de proximité. Si le besoin en granulats est le même partout, la source privilégiée est toujours la plus proche. Une démarche écoresponsable, mais aussi économique. Le prix d’achat des granulats peut doubler tous les 50 kilomètres lorsqu’ils sont acheminés par camion, frais de transport obligent ! Si le gisement le plus accessible est en mer, les granulats marins sont donc prioritaires, notamment dans de nombreux départements des façades maritimes, où ils peuvent assurer jusqu’à 60% des besoins. Sur notre façade, ils alimentent 80 % des besoins de la zone Le Havre Fécamp

© LOYS LECLERCQ – STX FRANCE – © Mer et Marine

Une exploitation encadrée pour un impact limité

Toute activité humaine a un impact, l’exploitation de granulats marins également. Ainsi, des études sont systématiquement menées, sur la base de protocoles construits avec les scientifiques et l’IFREMER, l’institut français de recherche entièrement dédié à la connaissance de l’océan, afin de mesurer les conséquences de l’activité sur le milieu marin, sur le trait de côte et les autres usages sur la zone concernée. Les résultats permettent de proposer des mesures d’évitement et de réduction des impacts. De plus, l’extraction des granulats marins cohabite depuis longtemps avec la pêche professionnelle. Ainsi, les pêcheurs sont informés du démarrage des campagnes d’extraction, les concessions restent ouvertes à la pêche toute l’année sauf un périmètre limité correspondant à la zone d’exploitation lors de la présence de la drague pour des questions de sécurité maritime. Les poissons quant à eux se déplacent généralement à quelques centaines de mètres pour trouver de quoi manger sans être dérangés… permettant ainsi aux pêcheurs de poursuivre leur activité durant l’extraction.

Et voilà, vous ne roulerez plus sur les routes de nos côtes françaises de la même manière et aurez dorénavant une pensée pour nos granulats marins à chaque traversée de pont ou visite d’un appartement, normand notamment ! Eh oui, le béton et les matériaux qui nous entourent abritent parfois bien plus de trésors qu’il n’y parait.