Belle-Ile, Groix, Hoëdic, Houat… Comment a-t-on construit sur les îles du Morbihan ?
« Autant il y a de jours par an, autant il y a d’îles dans le Morbihan » raconte la légende bretonne. À y regarder de plus près, on en compte 59 au large des côtes du département, 43 dans le seul golfe du Morbihan. Autant de grands et petits confettis posés sur l’océan, vierges pour certains, habités pour d’autres. Mais alors, comment et “en quoi” les maisons et bâtiments ont-ils été construits en pleine mer ? Cela leur apporte-t-il un caractère singulier par rapport à celles du continent ? Comment se passe la construction insulaire aujourd’hui ? Embarquement immédiat pour les îles du Morbihan, à la découverte de leurs secrets de construction.
Les îles du Morbihan : un patchwork sur la mer
L’île aux Moines, île d’Arz surnommée « l’île des capitaines », les voisines Houat et Hoëdic, l’inhabitée Gavrinis, ou encore Ilur avec son unique habitant, gardien des lieux, mais aussi Tascon et Berder : voici quelques célèbres îles de taille modeste du Morbihan. Toutes proportions gardées, à côté Belle-Île et Groix feraient presque figure de géantes. En fonction de sa situation géographique, de sa forme, de son sous-sol, du type d’activité humaine et bien d’autres paramètres encore, chaque île a vu se construire un habitat qui lui est propre. Commençons donc par le sous-sol !
Montre-moi ta pierre, je te raconterai l’histoire de ton île
Comme le raconte La Vie en Pierre au fil de ses pages, la diversité de nos régions et de leurs architectures tient essentiellement dans la nature des sols environnants, matière première aux constructions passées et présentes. Sur les îles d’Houat et Hoëdic, « l’examen du bâti indique que les différents granites insulaires ont été plus ou moins exploités » indique Louis Chauris, géologue, dans la Revue Archéologique de l’Ouest en 2015. Traduction : si la principale carrière à l’extrémité sud-ouest de la plage de Treac’h-Salus sur l’Île-d’Houat a permis d’obtenir de belles pierres, les carrières locales n’ont malheureusement pas suffi à pourvoir les habitants en quantité suffisante. Dès lors, Houat s’est essentiellement construite avec des pierres importées du continent.
À Belle-Île, la nature du sous-sol est différente. « On trouve une variété énorme de roches et de pierres métamorphisées » raconte Patrick Jonveaux, vice-président de la Société historique de Belle-Île, « la plupart des pierres de construction sur l’île sont en fait des tufs plus ou moins durs. » Ainsi, jusqu’à la moitié du 20ème siècle, maisons, écuries et murets sont bâtis avec cette pierre généralement très sombre, matière première naturelle locale extraite directement dans la falaise. Ouvrez l’œil si vous passez par Belle-Île cet été, « les carrières de taille modeste, moins de 10 mètres de longueur, sur 3 ou 4 mètres de creux, sont encore visibles » précise Patrick Jonveaux.
Elles ont également servi à édifier le parement des fortifications côtières. Quant à la Citadelle, construite à partir de 1549, la pierre de l’île ne permettait pas d’assurer une solidité suffisante. Les pierres d’angles sont donc en granit et proviennent d’Auray, ville voisine sur le continent. Idem pour le grand phare.
L’architecture insulaire : un habitat en accord avec son milieu
On constate que chaque île présente un type d’habitation propre, en lien avec sa configuration géographique, les contraintes inhérentes et son histoire.
Ainsi, Belle-Île abrite de nombreuses longères de 3 ou 4 maisons accolées, avec des toitures aux versants symétriques, un petit chemin à l’avant et un autre à l’arrière pour accéder aux écuries et diverses dépendances. Ce type de construction s’explique par le climat local : accolées, les maisons se protègent ainsi mutuellement du vent et de la pluie. Sur les îles de Hoëdic et Houat, plus petites et en lien direct avec l’océan, l’habitation traditionnelle est quant à elle une petite cabane de pêcheurs basse et rectangulaire, accolée aux voisines et « tournant le dos » à l’étendue d’eau. Le meilleur moyen de s’en protéger. Quant à l’île de Groix, elle présente une plus grande variété de bâtis avec des longères, des petites maisons de pêcheurs mais aussi des maisons plus cossues aux couleurs vives, reflets des années fastes de l’île et de ses armateurs. En effet, ces derniers n’ont pas hésité à faire appel à des maçons italiens pour édifier leurs demeures. En se baladant sur l’île, la jolie diversité des teintes et des matières ne passe effectivement pas inaperçue, lui conférant un certain cachet par rapport à ses voisines.
Chaque île a donc développé son style architectural en fonction de ses ressources naturelles et construit ses maisons en réponse au style de vie local et au climat. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Construire aujourd’hui sur les îles du Morbihan : toute une intendance !
Si la construction insulaire est aujourd’hui strictement encadrée par la Loi Littoral, les propriétaires bénéficient d’un peu plus de souplesse en termes de matériaux. Plus aucune carrière n’est en activité sur les îles du Morbihan. Il en existe bien une sur Belle-Île, mais elle fournit exclusivement des granulats à destination des travaux de voirie. Les pierres et éléments de construction sont donc nécessairement issus du continent. « Chez CMGO, nous produisons des sables et gravillons à destination du bâtiment et des travaux publics » explique Médéric d’Aubert, chef d’agence (CMGO – Groupe Colas), « nous fournissons les alentours du golfe et bien évidemment les îles ».
Dès lors, comment se déroule la livraison des matériaux ? Deux entreprises sont habilitées pour ce type de transport maritime : TMC et Seaway. Au départ des principaux ports du Morbihan continental, elles chargent la matière première sur des caboteurs, destination les principales îles. Une fois les matériaux arrivés sur place, il faut encore transformer tout cela. Seule Belle-Île dispose d’une unité de production de béton prêt à l’emploi. Ailleurs, « les maçons font le béton au fur et à mesure, ou bien des toupies sont acheminées sur place » raconte Médéric d’Aubert. « C’est toute une intendance ! »
Évidemment, une telle logistique représente un coût non négligeable. « Ce sont les ruptures de charges successives qui coûtent cher et peuvent multiplier le prix du matériau par 3 ou même 5 » précise Médéric d’Aubert. Concrètement, plus le nombre de mouvements du matériau est élevé, plus on doit le déplacer avant sa destination finale, plus son prix augmente. Ainsi, les habitants des îles optent parfois pour des matériaux plus légers, moins onéreux, mais toujours importés du continent. Une diversité qui ne saute pas forcément aux yeux. En fait, traditionnellement sur les îles du Morbihan, à rebours de l’image d’Épinal de la petite maison bretonne en pierre apparente, les bâtiments d’habitation sont enduits pour une meilleure étanchéité. Ainsi, une certaine homogénéité visuelle est préservée. Beaucoup de nouveaux acquéreurs tiennent toutefois à la pierre apparente : un choix qui ne manque pas d’étonner les insulaires !
Cet été lors de vos balades au sein de ces îles plus remarquables les unes que les autres, vous penserez à cet article et à nous !